J’ai été victime de trafic d’enfant à 10 ans
PartagerFacebookX
Boy gagged in the dark.

J’ai été victime de trafic d’enfant à 10 ans

Pendant de longues années, j’ai ressenti une profonde réticence à évoquer cette partie de ma vie. Pourquoi, me demanderez-vous? Honnêtement, je ne saurais vraiment l’expliquer. Pourtant, depuis plusieurs années, la lutte contre le trafic humain, et en particulier celui des enfants, a été l’un de mes plus grands combats. J’ai consacré mon énergie et mon temps à militer pour cette cause au sein de diverses associations.

Il y a quelques jours, alors que j’intervenais dans une classe universitaire pour parler des trafics humains, les étudiants ont voulu savoir ce qui me poussait à défendre cette cause avec tant de ferveur. Après quatre heures de séminaire, la question me fut posée de manière frontale, me prenant au dépourvu. Il me restait encore deux heures de séance. Je poussai un soupir, observai deux minutes de silence, puis pris la décision de me dévoiler. J’ai alors choisi de leur raconter mon histoire, une histoire que je n’avais jamais confiée, même à mes amis les plus proches. Seuls mes parents en étaient informés.

Pour beaucoup, j’incarne une personne forte et habile, et je crois que je n’avais jamais eu le courage d’en parler. Je n’avais jamais imaginé pouvoir partager cette part de mon passé publiquement un jour.

Le 20 janvier 2022, cependant, j’ai franchi le pas. En racontant cette histoire devant une salle de classe, j’ai brisé la glace. Aujourd’hui, je me sens prêt à la partager avec le monde.

Récemment, lors d’une discussion avec mon père, j’ai pris conscience que mon intérêt pour cette cause remontait à mes 12 ans. À l’époque, je participais à une émission de radio animée par mon professeur de français de la classe de 5ème, Marie-Joëlle, sur Océan FM, une station de Cotonou, la capitale économique du Bénin. Cette émission, financée par l’Unicef Bénin, avait lieu tous les samedis, et c’est mon père qui m’y conduisait.

Je vivais au Bénin, j’avais dix ans, et j’étais au premier trimestre de ma classe de 6ème au Collège Martin Luther King. C’était en décembre, juste avant les vacances de Noël. Une période habituellement joyeuse pour la plupart des enfants, non seulement parce que les vacances étaient une pause bien méritée, mais aussi parce que nous étions impatients de découvrir nos cadeaux de Noël.

Avant de poursuivre, il est important de préciser que j’ai été victime à deux reprises de tentatives d’enlèvement.

Un après-midi, mes frères, quelques amis du quartier et moi jouions au football dans la rue, juste devant notre maison. Soudain, un homme transportant des bidons s’arrêta parmi nous. Il fixa immédiatement son regard sur moi et me demanda : « Jeune garçon, pourrais-tu m’accompagner chercher du carburant au prochain carrefour? J’ai deux bidons de 25 litres et je ne pourrai jamais les transporter tout seul. »

En moins d’une minute, de nombreuses questions me traversèrent l’esprit : Pourquoi moi, et pas un autre enfant? Je me répondis à moi-même que c’était probablement parce que je paraissais être le plus âgé du groupe. Il est vrai que je ne faisais pas mon âge. Un adolescent de 12 ans était parmi nous, mais je paraissais plus vieux.

Je lui répondis : « D’accord, je peux vous aider. » Mais avant de partir, je regardai une adulte qui tenait le commerce de ma mère à côté. Par un regard, elle me donna son approbation. Je montai alors sur la moto, l’homme me remit les bidons, et nous nous dirigeâmes vers la station.

Parenthèse : ce n’était pas une véritable station-service, mais une installation informelle où des particuliers au Bénin achètent de l’essence frelatée au Nigeria, un pays voisin, et la revendent au bord des routes dans des bouteilles et bidons, sans aucun respect des normes de sécurité.

Une image libre de droit pour vous donner une idée.
Un documentaire pour vous montrer un peu comment ce commerce de carburant est fait. Les populations prennent beaucoup de risque mais qui peut leur jeter la pierre? C’est leur gagne pain et des familles entières sont nourries grâce à ce commerce. Il est important de savoir que dans ce phénomène, des enfant sont trafiqués aussi et mis au travail.
Un autre mini documentaire drôle, d’une minute cinquante quatre seconde montrant un client fâché pour la hausse du prix de l’essence. Dites vous bien que si la population va vers ces marchants, c’est parce qu’ils sont généralement moins dispendieux que les vraies stations service. Vous pouvez constater que malgré la dangerosité, des enfants sont à côté.

Une fois arrivés à destination, je descendis de la moto, l’homme retira les bidons et les tendit au vendeur pour qu’il les remplisse. Au moment de payer, il se palpa les poches et réalisa qu’il avait oublié son portefeuille à la maison. Il dit alors au vendeur : « Je n’habite pas loin, je te laisse le petit (en parlant de moi) en garantie, et je reviens rapidement pour payer. » Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, il démarra sa moto et s’éloigna. Je pris soudain conscience que j’avais été laissé en gage en échange d’une marchandise. J’expliquai au vendeur que je n’étais là que pour aider l’homme à transporter les bidons, comme il l’avait prétendu, et que je devais rentrer chez moi sous peine d’être puni par mes parents.

Le vendeur me répondit sèchement : « Tu ne bouges pas d’ici, tu es ma seule garantie pour récupérer mon argent. »

Après trois heures d’attente, l’homme qui était censé habiter à cinq minutes du lieu de vente ne revenait toujours pas. J’étais épuisé, j’avais faim, il était passé 16h. Comme par miracle, je vis la voiture de mon père se garer devant nous. Il m’avait déjà repéré de loin en tournant dans la rue. Dans ma tête, un mélange de soulagement et de stupeur m’envahit : d’un côté, j’étais heureux de le voir, car je savais qu’il me sortirait de cette situation; de l’autre, j’étais surpris qu’il rentre si tôt, lui qui ne rentrait jamais avant 20h.

Papa s’arrêta, baissa la vitre, et d’un geste de la main, m’invita à venir. Je m’avançai vers la voiture, mais le vendeur m’intercepta, affirmant que je n’avais pas le droit de bouger. Mon père descendit de la voiture et demanda au vendeur : « Que se passe-t-il? Pourquoi empêchez-vous mon fils de venir alors que je l’appelle? » Le vendeur expliqua : « Un homme l’a laissé ici en gage, j’attends donc de recevoir mon paiement pour le libérer. »

Mon père éclata de rire, un rire étrange, presque inquiétant, que je ne lui connaissais pas. Il continua : « Vous n’avez pas honte? Comment pouvez-vous accepter qu’un inconnu vous laisse un enfant de dix ans en gage pour prendre votre marchandise? C’est à vous de savoir à qui vous vendez votre carburant à crédit, mais cet enfant est mon fils, et il ne servira jamais de gage à qui que ce soit. » Le vendeur rétorqua : « Pourtant, il l’est déjà. » Mon père répondit, avec calme, « C’est ce que nous allons voir. »

Papa me prit par la main, ouvrit la portière avant de la voiture, m’y installa et la referma. Le vendeur tenta d’ouvrir la portière, mais la voiture étant automatique, les portières étaient déjà verrouillées. Il insista, mais mon père le prévint : « Si vous ne lâchez pas ma voiture, j’appelle la police sur-le-champ. Chacun doit assumer ses responsabilités. La vôtre, en tant que commerçant, est de rester vigilant et de ne pas vous laisser duper. À titre d’information, je suis également commerçant, et je ne prends jamais des êtres humains en gage pour récupérer mes dettes. Ce que vous faites là, c’est de la complicité dans un trafic d’enfants, et je pourrais vous poursuivre. »

C’était la première fois que j’entendais l’expression « trafic d’enfants ». Je n’avais même pas conscience que cela pouvait exister.

Sans perdre de temps, mon père démarra la voiture. Pendant le trajet, il me demanda : « Qui t’a laissé sortir de la maison, et pourquoi? » La maison n’était pas loin, en cinq minutes nous y étions. À peine étais-je sorti de la voiture que mon père était déjà à ma portière, me souleva d’une main, me sortit de la voiture et commença à me frapper. Je n’eus même pas le temps de réaliser ce qui se passait. J’étais sous le choc, car c’était la première fois que mon père me battait. Il était en proie à une colère noire. Au milieu des coups, je n’entendais que : « Suivras-tu encore un inconnu? Imbécile! Tu raisonne si bien que je te croyais intelligent, Farid. Mais je réalise que tu es bête. Ta naïveté et ton envie d’aider tout le monde nous coûteront cher un jour. » Ces paroles, venant de celui dont je tiens mon altruisme, résonnaient douloureusement. Je me sentais humilié, car la scène se déroulait dehors, sous les yeux du quartier tout entier. Je vous épargne les détails, mais il finit par me pousser à l’intérieur de la maison pour continuer.

Ma mère, plus calme, me demanda comment je m’étais retrouvé dans une telle situation, et quand j’avais quitté la maison. En pleurs, je répondis qu’avant de partir, j’avais demandé à un adulte, la jeune femme vendeuse de son commerce, qui m’avait donné son accord. Elle rétorqua : « Est-ce ta mère? Pourquoi n’es-tu pas venu me voir? » Vu la colère de mes parents, il était évident que la jeune femme ne reconnaîtrait jamais m’avoir donné l’autorisation. Elle prétexta m’avoir entendu dire quelque chose en partant, alors qu’elle était occupée avec sa clientèle.

Pendant longtemps, j’en ai voulu à mon père pour plusieurs raisons :

  • Pour l’humiliation publique, car il se pourrait qu’une de mes amies du quartier ait assisté à la scène,
  • Pour le manque de sensibilisation sur le sujet.

Mais aujourd’hui, je comprends parfaitement sa réaction. Je réalise qu’il a eu très peur de me perdre, ce qui est normal pour tout parent.

J’en ai voulu également à moi-même pour avoir été si naïf. Néanmoins, j’étais heureux d’avoir échappé à cette situation, car je n’osais imaginer être emmené quelque part, loin de mes parents.

Je pensais que tout cela était derrière moi, mais je me trompais lourdement. Il me restait encore une autre épreuve à vivre.

Mon deuxième épisode, bien plus grave encore, a eu lieu un an plus tard… Je vous le raconterai dans un prochain épisode. Restez connectés…

PartagerFacebookX

A propos

.