Journée nationale de la vérité et de la réconciliation au Canada : Arrêtons la discrimination à l’égard des peuples Autochtones
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Journée nationale de la vérité et de la réconciliation au Canada : Arrêtons la discrimination à l’égard des peuples Autochtones

Nourriture pour les pensées et nouvelles des communautés éloignées des Premières nations de l’Ontario

Par Sovi L. AHOUANSOU

Introduction

Le Canada célèbre le 30 septembre 2023 la troisième Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. Cette journée vise à honorer les survivants, leurs familles et leurs communautés en commémorant l’histoire tragique des pensionnats pour Autochtones. Les Canadiens, par l’intermédiaire de leur gouvernement fédéral, s’engagent à se réconcilier et à veiller à ce que l’histoire des pensionnats pour Autochtones et son impact multi générationnel ne soient jamais oubliés.

En solidarité avec les communautés Autochtones de tout le Canada, je partage avec vous cette analyse de pensées que j’ai écrite après avoir lu un article de CBC News[i] il y a de cela quelques années (04/02/2020) alors que j’étais en mission dans de nombreuses communautés des Premières Nations du Nord de l’Ontario. Mon document est réédité cette année comme ma contribution et pour marquer la troisième Journée nationale pour la vérité et la réconciliation au Canada.


Une vérité qui dérange :

Pour que la réconciliation puisse se concrétiser, nous devons accepter les vérités quoiqu’elles puissent nous déranger. Nous devons faire face aux événements survenus dans les pensionnats Autochtones, particulièrement dans la foulée des témoignages de survivants et l’identification de tombes anonymes en 2021 à Tk’emlúps (Kamloops), qui signifie « là où les rivières se rencontrent » en secwepemctsin (Shuswap), et plus récemment près de Sîpîsisihk (Beauval, Saskatchewan), ou « petite rivière » en nêhiyawewin (langue crie des plaines). Nous devons lutter contre le négationnisme des pensionnats grâce à la sensibilisation. Pour les autochtones (peuples des Premières Nations, les Inuit et les Métis) du Canada, la réappropriation de leurs langues traditionnelles, de leurs pratiques spirituelles et de leurs façons d’être sont une partie significative du travail de réconciliation. Quant aux non-Autochtones, d’une part, notre contribution consistera à apprendre la vérité au sujet de l’histoire coloniale du Canada et vivre l’inconfort associé au fait de profiter du traitement réservé aux Autochtones. D’autre part, il nous faut savoir formuler une reconnaissance territoriale significative et comprendre comment elle s’inscrit dans la diplomatie Autochtone. Nous devrions également connaître le traité applicable au territoire où nous vivons, s’il y a lieu (saviez-vous que les Nêhiyawak ont adopté la Reine et ses descendants dans le cadre du traité no 6, faisant en sorte que tout le monde partage un lien de parenté?) ou apprendre pourquoi les terres sur lesquelles nous nous trouvons demeurent non cédées. En quelques mots, il s’agit d’être mieux informé et faire de notre mieux dans le rapprochement des populations de notre pays le Canada.

De quoi s’agit-il ? : Une des réalités auxquelles les Autochtones sont encore confrontés de nos jours.

La « crise du transport » dans le Nord de l’Ontario.

Comme annoncé dans l’introduction, l’article lu, parle de la façon dont la météo et les saisons affectent la vie des populations dans les communautés éloignées dans le Nord de la province (Ontario). Les journées moins froides en l’hiver, provoquent dans le nord de l’Ontario, une sorte de « crise » du transport. Les communautés éloignées des Premières nations dans le Nord de l’Ontario comptent sur les routes de glace pour transporter des marchandises et des matériaux de premières nécessités. « Habituellement, à cette période de l’année (en février), les camions apportent de grandes quantités de denrées non périssables dans la communauté, et les résidents font des provisions pour l’année « , a déclaré le chef d’une communauté. Avec les conditions météorologiques actuelles, seule une route d’hiver sur les vingt que compte la communauté est pleinement opérationnelle. Cette situation met plus de pression sur les leaders de la communauté pour fournir aux membres de leur communauté les besoins immédiats tels que le carburant, l’épicerie… Parce que le transport aérien de ces nécessités de base est plus coûteux que l’utilisation des routes de glace.

Une route de glace dans les territoires du Nord. Photo : WordPress.com

À Big Trout Lake, une communauté située à environ 600 km au Nord de Thunder Bay, la situation est particulièrement critique. La communauté a un grand projet de construction d’une nouvelle école. Elle prévoyait d’expédier les matériaux de construction par les routes de glace.  Cependant, la route est fermée en raison du temps chaud. Si le temps froid ne reprend pas, le projet de construction de l’école pourrait être difficile à réaliser. « Cela va coûter plus cher » que prévu a averti le chef de Big Trout Lake, Donny Morris.

Une réalité des populations Autochtones ignorée de la majorité des Canadiens : Le transport par les routes de glace

Une route de glace pour le transport des marchandises vers les communautés éloignées. Photo : WordPress.com

À mon avis, l’article que j’ai lu, tente de montrer aux Canadiens que les gens n’ont pas les mêmes conditions de vie, même s’ils vivent dans le même pays et sous les mêmes juridictions. Le transport de carburant ou d’épicerie à Toronto, Vancouver ou à Montréal ne dépend pas trop de la météo et des routes de glace. Cependant, à Big Trout Lake, les gens doivent compter sur la météo et les routes de glace pour espérer avoir les nécessités et satisfaire les besoins élémentaires de la vie. La situation décrite dans l’article n’est pas comprise par beaucoup de gens dans notre pays. Les conditions de vie dans les communautés éloignées sont coûteuses. Par exemple, le lait à Big Trout coûte environ quatre fois plus cher qu’à Thunder Bay ou à Winnipeg. Les légumes frais dans ces communautés sont presque inexistants. Et quand il y en a, c’est trop cher pour les poches de la majorité des populations. Dans certaines communautés, l’eau potable est un luxe. Certaines communautés sont sur « avis d’ébullition » de l’eau depuis plus de vingt ans (voir ci-dessous l’avis d’ébullition de l’eau de la Première Nation de North Spirit Lake depuis le 08-01-2001).

Avis d’avertissement pour faire bouillir l’eau (Première nation de North Spirit Lake) avant consommation. Photo: Sovi

En ce qui concerne les conditions de vie dans les communautés éloignées des Premières Nations du Nord, il est opportun et salutaire de reconnaître que le gouvernement fédéral du Canada a fait beaucoup. Par exemple, de nouvelles écoles ont été construites (Pikangikum, Aroland, Poplar Hill…), des centres de soins infirmiers ont été équipés (Cat Lake, Sandy Lake…), des installations d’eau potable ont été installées (Sachigo Lake, North Spirit Lake…), et des infrastructures routières permanentes ont été construites (North Caribou Lake). Malgré ces exemples, il faut rappeler qu’il reste encore beaucoup à faire. Par exemple, Neskatanga Lake n’a pas d’eau potable et fait l’objet d’un avis « d’ébullition d’eau » depuis plus de deux décennies. Les habitants de cette communauté doivent faire bouillir l’eau avant de la boire. Après la douche, les habitants de Neskatanga Lake se plaignent souvent d’éruptions cutanées, nous ont rapporté certains habitants durant notre séjour dans cette communauté en 2020. Au cours de mes années de service dans cette communauté (2019 à 2020), j’ai vécu ce que je considère comme mon expérience d’enfance au Bénin (Afrique de l’Ouest), mon pays d’origine. Les conditions sanitaires dans ces communautés pourraient être comparées à celles de pays moins développés comme le Niger, la Guinée, le Mali ou le Bénin en Afrique de l’Ouest. En particulier l’état de santé des enfants. D’ailleurs, l’unité de gestion de l’environnement de l’Assemblée des Premières Nations (APN/ESU)[i], en mars 2008, a rapporté que les enfants des Premières Nations vivant dans les réserves ont moins d’aide en matière de santé que les enfants canadiens vivant hors des réserves.

De la discrimination à l’égard des populations autochtones

Un an avant le rapport de l’APN/ESU, en février 2007 exactement, une plainte pour violation des droits de l’homme a été déposée par la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et l’Assemblée des Premières Nations. La plainte est déposée contre le gouvernement du Canada, alléguant que le gouvernement a fait preuve de discrimination envers les enfants des Premières Nations en fournissant des services de protection de l’enfance inéquitables aux enfants vivant dans les réserves par rapport à ceux vivant hors des réserves.

Pour Priya Sarin[i], avocate et chroniqueuse contributrice au Pro Bono de Rabble, les plaignants soutiennent qu’il y a de la discrimination et que celle-ci peut être prouvée contre le gouvernement parce que :

  • Certains services de protection de l’enfance sont refusés ou ne sont pas fournis aux enfants des Premières Nations (alors qu’ils sont fournis aux enfants vivant hors réserve, par exemple les appareils de mobilité, les services de santé mentale et l’orthodontie) ;
  • Les enfants des Premières Nations vivant dans les réserves reçoivent 22 % de moins de financement par enfant que les enfants vivant hors réserve dans la province moyenne (le financement provincial des services de protection de l’enfance hors réserve est basé sur le nombre réel d’enfants pris en charge, alors que le financement fédéral est basé sur une formule qui a peu de rapport avec le nombre réel d’enfants dans le besoin) ;
  • Les enfants des Premières Nations vivant dans les réserves ont subi des préjudices ou des désavantages historiques résultant de politiques assimilationnistes (système des pensionnats) ; et
  • le programme de financement fédéral des services de protection de l’enfance perpétue le préjudice ou le désavantage des enfants des Premières Nations vivant dans les réserves. (Les enfants des Premières Nations vivant dans les réserves sont huit fois plus susceptibles d’être pris en charge par le système de protection de l’enfance que les enfants non autochtones).

Ce n’est pas la première fois que des personnes ou des institutions tirent la sonnette d’alarme sur les écarts concernant le niveau de vie entre les Canadiens vivant hors réserves et ceux vivant dans les réserves. Don Drummond[ii], ancien économiste en chef de la Banque TD, a déclaré en mars 2016 : « Les enfants des Premières Nations vivant dans les réserves reçoivent au moins 30 % de moins de financement pour leur éducation que les enfants sous juridiction provinciale« . Il a ajouté que :  » Le bonheur, la santé et l’engagement des peuples des Premières Nations dans la communauté, s’amélioreraient avec une éducation de meilleure qualité. Ils en ont été privés pendant très longtemps et je pense que cela doit changer.« 

Il est important de rappeler que la situation déplorable des conditions de vie dans les réserves des Premières nations aujourd’hui est la conséquence de politiques gouvernementales de longue date. L’héritage créé par le système des pensionnats. Des politiques qui ont été néfastes pour les peuples autochtones jusqu’à nos jours.

Le système des pensionnats Autochtones : un des sujets en cause

Il y avait plus de 140 écoles dans le système des pensionnats autochtones au Canada. Le premier pensionnat a ouvert en 1831, et le dernier a fermé il y a seulement 25 ans, en 1998. Plus de 150 000 jeunes y ont été envoyés de force pour « tuer l’Indien dans l’enfant », arrachés à leur famille, coupés de leur langue et de leurs traditions ancestrales. Près de 3200 d’entre eux y sont morts rapporte le journal Le Devoir[i] du 02 septembre 2020. Les mauvais traitements infligés aux enfants autochtones dans ces établissements sont aujourd’hui bien documentés. Pour les survivants, les traumatismes causés par les innombrables abus physiques, psychologiques et sexuels ont traversé les générations. Un « génocide culturel », avait statué la Commission de vérité et réconciliation (2008-2015). Si certains Canadiens n’ont pris conscience que récemment des horreurs des pensionnats et des milliers d’enfants qui ne sont jamais rentrés chez eux, ce sont des vérités avec lesquelles les Premières nations, les Inuits et les Métis ont dû vivre pendant des générations. Nous ne saurions jamais oublier les milliers d’enfants qui ont été victimes de ces politiques coloniales du Canada de même que ceux qui continuent de vivre avec leurs conséquences tragiques aujourd’hui.

Bibliothèque et Archives Canada (PA-048574) 
Groupe d’élèves du pensionnat autochtone de Brandon (Manitoba), 1946

Il a été démontré qu’il existe une corrélation directe entre les résultats scolaires et le niveau de vie, y compris « la santé, le bonheur et l’engagement communautaire ».  La Journée nationale de vérité et de réconciliation a pour but de donner à tous les Canadiens l’occasion de réfléchir et de participer à des activités éducatives et commémoratives dirigées par des Autochtones sur l’héritage des pensionnats et les répercussions sur les peuples autochtones à travers le pays.

Poste de soins infirmiers de la Première Nation Keewaywin (ON). Photo : Sovi 2017

Par souci d’équité et de justice sociale, il faut aider davantage les peuples autochtones du Canada en général et ceux des réserves en particulier. Notre pays en a besoin pour construire et consolider les relations nation à nation.

 Comme pour reprendre les mots de Monsieur Murray Sinclair, ancien sénateur, « il est maintenant temps de nous traiter différemment les uns les autres, et nous devons faire preuve d’une plus grande gentillesse et d’un plus grand respect les uns envers les autres que par le passé. » Ganawenindig nindinawemaaganidog, nous entretenons tous des liens. Ce que nous faisons pour faire avancer la réconciliation le 30 septembre – et chaque jour – est important[i].

Merci, Miigwetch, Nakurmiik, ᖁᔭᓐᓇᒦᒃ, and Marsee

Sovi L Ahouansou


[i] Souligner la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation (esdc.prv)

[1] Sovi L. Ahouansou a une formation multidisciplinaire en sciences sociales et sciences naturelles. Spécialisé en développement rural et protection de l’environnement, il détient une maîtrise en études de développement de l’Université de Genève (Suisse), d’un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en développement rural de l’Université Laval (Québec/Canada) et d’un certificat d’études supérieures spécialisées en évaluation et gestion environnementales de Niagara Collège (Ontario/Canada). Nantis d’une expérience professionnelle dans le développement participatif, il a travaillé dans plusieurs pays en Afrique (Bénin, Côte-d’Ivoire, Guinée, Ghana) et en Europe (Suisse). Actuellement au Canada, Il travaille dans le développement participatif avec les communautés locales sur plusieurs questions de développement dont le renforcement des capacités et les questions d’intégration en milieu minoritaire.

[2] https://www.cbc.ca/news/canada/thunder-bay/northwestern-ontario-winter-roads-1.5450315

[3] The Health of First Nations Children (afn.ca)

[4] Ending discrimination against First Nations children in Canada | rabble.ca

[5] First Nations students get 30 per cent less funding than other children, economist says | CBC News

[6] https://www.ledevoir.com/societe/585205/a-la-memoire-des-pensionnats-autochtones [1] Souligner la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation (esdc.prv)

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